Société d'histoire de la Repousse
Chronique historique: une orange à Noël
Par Cécile Fleurant, Société d’histoire de la Repousse. En ce matin du 25 décembre 2014, Alberte contemple cette orange qu’elle avait mise de côté il y a quelques jours déjà. Comme chaque année, elle tient à souligner Noël à sa manière, dans l’intimité, avant de voir sa famille. D’ailleurs, qui comprendrait ce geste sinon quelqu’un de sa génération?
Une orange à Noël! Quel beau symbole du temps passé! Pour Alberte, c’est une façon de rendre hommage aux Noëls de jadis et à ses parents, Dorina et Albert Fleurant, qui suivaient la tradition malgré le peu d’argent disponible.
Il faut dire que durant son enfance au lac Français, elle avait vécu la grande crise des années 30. Bien sûr, à la campagne, les gens ne s’en ressentaient pas autant. Ils avaient leur jardin et pouvaient entreposer certains légumes pour l’hiver. Avec les animaux, ils avaient l’assurance d’avoir du lait et des œufs frais tout au long de l’année. Au besoin, ils faisaient boucherie.
Mais durant la saison froide, que ce soit à la ville ou à la campagne, les fruits s’avéraient un luxe que ne pouvaient se permettre les familles modestes.
Alberte se souvient de la misère à Montréal, du secours direct pour les milliers de chômeurs que la crise des années 30 n’avait pas épargnés. L’on y distribuait la soupe populaire à de pauvres gens qui attendaient en file, dans le froid humide de la ville. En comparaison, habiter à la campagne devenait un privilège.
Cette orange devant elle ce matin, Alberte en défait délicatement les quartiers, comme elle le faisait jadis. Même si l’argent était rare, chaque enfant, dans sa famille, en découvrait une le matin de Noël. «L’orange était tellement bonne qu’on aurait mangé la pelure, se rappelle Alberte en riant!»
Quelques jouets, souvent fabriqués par son père, leur étaient offerts au Jour de l’An.
Elle se souvient aussi d’une autre gâterie réservée au temps des Fêtes: des biscuits achetés! De nos jours, les enfants peuvent-ils imaginer la joie de se régaler, uniquement durant quelques jours dans l’année, de « biscuits du magasin »?
À chaque quartier d’orange qu’elle savoure, défilent ainsi les souvenirs d’Alberte. Ah, ces bonnes veillées du Jour de l’An où on s’empressait de faire de la place, après le repas, pour les danses et les chansons!
À l’époque où ses grands-parents maternels s’y sont établis, au tout début du siècle dernier, le lac Français se trouvait encore quelque peu désert. Mais au temps de la jeunesse d’Alberte, oncles et tantes, cousins et cousines ne manquaient pas pour se rassembler en de joyeuses veillées des Fêtes, malgré la pauvreté des familles.
L’état des chemins s’avérait idéal pour les voitures d’hiver après que l’on ait passé le rouleau pour aplanir la neige. Les grelots des chevaux résonnaient dans la froidure, annonçant leur arrivée. On se recevait à bras ouverts. Le gros gin et le caribou se chargeaient de réchauffer les hommes après le soin des bonnes bêtes. D’ailleurs, ces fidèles chevaux connaissaient si bien leur chemin qu’ils pouvaient ramener à bon port tout conducteur éméché.
Plus tard, avec Ernest, son mari trop tôt disparu, la tradition s’était perpétuée de plus belle, car il ne donnait pas sa place pour « caller » un set carré. Une chanson à répondre n’attendait pas l’autre. Son répertoire semblait inépuisable. Il avait été élevé à bonne école: chez les Chaumont, on savait fêter!
Même les enfants y trouvaient leur compte. Alberte se souvient de la petite Cécile, pas plus haute que trois pommes, mais les yeux tout grands, brillant de plaisir anticipé lorsque l’oncle Ernest annonçait: « Tout le monde en place pour un set! »
Tradition oblige, année après année, l’un des beaux-frères s’écriait: « Ton sermon, Ernest, ton sermon… » Il se levait, prenait le juste ton de circonstance et déclamait son monologue humoristique au succès assuré.
Et de génération en génération, la famille s’était agrandie. Aujourd’hui, avec deux enfants, cinq petits-enfants et les arrière-petits-enfants s’ajoutant au fil des ans, le cœur d’Alberte se gonfle de gratitude à la pensée de la tendresse avec laquelle ils avaient souligné le passage à ses 90 ans l’été dernier.
Son rite annuel accompli, Alberte se sent prête à rencontrer sa belle grande famille.
Ce texte n’est pas une fiction, mais basé sur les précieuses confidences de feue tante Alberte (1924-2017).
La Repousse
- La Société d’histoire a fait le choix du nom de « la Repousse » en souvenir du « chemin de la Repousse ». C’est en ces termes que l’on désignait la première route qui reliait Sainte-Agathe-des-Monts à Saint-Faustin. Pour information:www.Facebook.com/LaRepousse et LaRepousse@hotmail.ca
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