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Et la lumière électrique jaillit! La Coopérative d’électricité de Lac-Supérieur
Par Pierre Trudel. En 1931, le pourcentage des fermes électrifiées au Québec (9,6%) est voisin de celui de l'Ontario (12,6%). Cependant, la situation est tout autre en 1941. En effet, à peine 18% des exploitations agricoles québécoises disposent alors du service, tandis qu'en Ontario, 36,8% sont desservies.
En 1945, les résidents établis au-delà du lac Carré dans le secteur du lac Supérieur s’éclairaient toujours à la lampe à l’huile et se chauffaient au poêle à bois. Les entreprises électriques comme la Gatineau Power s’intéressent surtout aux industries et aux agglomérations qui leur procuraient des revenus plus importants.
Afin de fournir l’alimentation électrique aux villages et régions rurales, le Québec opte pour la création de coopératives rurales d’électricité financées en partie par l’État, plutôt que pour une prise en charge gouvernementale directe. La formule coopérative est d’ailleurs défendue par une partie des milieux agricoles depuis les années 1930.
Coopérative d’électricité de Lac-Supérieur
Le 22 avril 1947, la Coopérative d’électricité de Lac-Supérieur est créée. Le premier conseil d’administration se réunit le 13 juillet 1947, chez Éva Paratte au Lac-Supérieur. Il se compose du curé Clément Boisvert, Jean Michel (président), René Grenon (marchand), Albert Pelletier (notaire), Charles Dubé, A.J. Brooke, Onésime Grenier, Wilfrid Lajeunesse et P.A. Trudeau.
La coopérative achète son électricité de la Gatineau Power, une filiale du Canadian Pacific, puis de Canadian International Paper (CIP). Elle reçoit les demandes de branchement, construit les lignes sous la supervision d’un technicien de l’Office de l’électrification rurale et entretient le réseau.
Les membres de la coopérative doivent acheter des actions d’une valeur nominale de 10$ chacune pour un total de 100$ au cours de l’année. Il s’agissait d’une somme substantielle pour les agriculteurs. De plus les membres devaient composer avec des frais fixes de 14,28$ par année. L’éloignement des habitations oblige souvent la Coopérative à acheter et installer un transformateur au coût de 150$ pour chaque branchement. On comprend les difficultés.
En 1950, le conseil d’administration confie la gestion courante à un secrétaire-trésorier Denis Bilodeau, qui assumera cette fonction jusqu’à la nationalisation en 1963.
Denis Bilodeau était bien impliqué avec les membres de la Coopérative. Il était aussi responsable d’approvisionner la Coopérative en dynamite nécessaire pour ses travaux. Son fils Luc, notre mémoire vivante d’octobre dernier, se souvient: « mon père respectait tous les règlements, mais quelquefois pour pouvoir utiliser certaines routes pour acheminer la dynamite plus rapidement, il enlevait les panneaux signalant « matières dangereuses » sur le camion au retour ».
En plus de son rôle de secrétaire-trésorier, Denis Bilodeau représentait le côté humain de la Coopérative et cherchait tous les moyens pour aider les membres. Lorsque les installations se faisaient entre autres à Saint-Agricole (Val-des-Lacs), les agriculteurs n’avaient pas la capacité de payer, il proposait donc le troc. Luc Bilodeau nous raconte: « il arrivait à mon père de troquer les poteaux d’un agriculteur en échange de l’installation ou encore d’utiliser les services de l’agriculteur dans les travaux de creusage ou de montage des poteaux. Une affaire de famille: ma mère Marielle Grenon Bilodeau travaillait bénévolement pour la Coopérative, elle préparait les comptes rédigés à la main ».
Au début, lors du branchement des membres, la Coopérative fournissait une lumière dans la grange, une prise et deux lumières dans la maison. Gilles Lacasse, notre Mémoire Vivante d’août 2020, se souvient: « en 1948, on est venu installer l’électricité chez nous. Seuls l’éclairage et la pompe à l’eau étaient alimentés. C’était toute une fête, on allait souvent essayer de voir si elle (la lumière) était pour allumer encore! »
Au sortir de la Seconde Guerre, la prospérité économique passe par la Coopérative d’électricité qui devient une nécessité !
La formule des coopératives et des entreprises a permis de doubler la proportion d’exploitations agricoles électrifiées au Québec passant à 28% en 1945, à 67% en 1951, puis à 97% en 1961. On constatait toutefois de profondes inégalités régionales. À Montcalm, l’abonné payait 4,04$ par mois, mais à Mont-Laurier, la facture atteignait 11,20$.
L’Office d’électrification rurale (OER) consent aux coopératives des prêts, plutôt que des subventions, qui pouvaient atteindre 75 % du coût d’aménagement des réseaux. Les coopératives s’engageaient à rembourser annuellement 3% du montant prêté, pendant 30 ans. La subvention de l’État ne représentait donc au plus que 10% des sommes. Peu de coopératives ont été rentables dans ces circonstances.
Au début des années soixante, les coopératives d’électricité font face à une ère nouvelle et difficile, car leurs réseaux sont souvent inadaptés aux changements de la consommation d’électricité des usagers. En plus de la radio, leurs besoins comprennent le téléviseur, la cuisinière, le réfrigérateur, le congélateur, une laveuse, une sécheuse, etc. (On est loin des trois lumières et de la prise unique de 1948.)
En 1963, le gouvernement procède à l’achat gré à gré, entre autres de la Gatineau Power, la Compagnie électrique de Mont-Laurier, la Compagnie électrique de Ferme-Neuve et la Coopérative de Lac-Supérieur. Celle-ci comptait alors 1200 membres, huit employés occasionnels, trois permanents et un réseau qui s’étendait dans plusieurs régions habitées du canton de Wolfe et une partie du canton Archambault.
Félicitations et hommages à tous ceux et celles qui ont bâti et développé pour nous les coopératives d’électricité, souvent dans des conditions difficiles!
Chaque mois, la Société d’histoire de la Repousse présentera une chronique historique dans les pages de L’info du Nord pour raconter un pan de notre histoire locale, avec un témoignage à l’appui. Un merci tout spécial à Luc Bilodeau dont le père fut le secrétaire-trésorier de la Coopérative de 1950 à 1963 et à Pierre Dubé pour les archives de la Société d’histoire de la Repousse et dont le grand-père Charles fut l’un des administrateurs fondateurs.
La Société d’histoire a fait le choix du nom de « la Repousse » en souvenir du « chemin de la Repousse ». C’est en ces termes que l’on désignait la première route qui reliait Sainte-Agathe-des-Monts à Saint-Faustin. Pour plus d’information: www.Facebook.com/LaRepousse et LaRepousse@hotmail.ca.
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