Lance Stroll a encore tout à prouver
Rares sont les jeunes qui peuvent se permettre de réaliser leur rêve d'enfance aussi vite dans la vie. Mais pour tous ceux qui ont croisé le parcours du Tremblantois Lance Stroll depuis ses premiers coups de volant, il n'y avait aucun doute qu'il était promis à un bel avenir en course automobile.
Et il est en voie de leur donner raison. Confirmé officiellement pilote de l’équipe de Formule 1 Williams en novembre dernier, Stroll effectuera ses grands débuts ce week-end au Grand Prix d’Australie, devenant à 18 ans le deuxième plus jeune pilote de l’histoire de la discipline.
Pour accéder au sommet de la course automobile, Stroll n’a certes pas ménagé ses efforts pour gravir les échelons en se montrant compétitif en piste. L’an dernier, il est d’ailleurs devenu le plus jeune champion de Formule 3 de l’histoire, signant 14 victoires en 30 départs.
«J’ai beaucoup progressé, et je pense que j’ai atteint le niveau de pilotage que je visais, a-t-il mentionné après s’être adjugé le titre en F3 en 2016. Je suis parvenu à comprendre le fonctionnement de la F3 — une série qui a la réputation d’être casse-cou —, et c’est la raison pour laquelle j’ai triomphé avec un tel écart.
«Par contre, mon apprentissage n’est pas terminé, car il faut toujours s’adapter à une nouvelle catégorie.»
Dans son cheminement, il a aussi bénéficié du soutien indéfectible de son père, Lawrence, un véritable mordu de course automobile et grand amateur de Ferrari. Celui-ci n’a pas hésité à piger dans son importante fortune pour donner les moyens à son fils de concrétiser son rêve.
Certaines sources estiment que Lawrence Stroll, qui a fait fortune dans l’industrie de la mode, a dépensé au moins 40 millions $ US pour assurer un volant en F1 à son fils.
Si le jeune pilote convient que l’appui financier de son père a été jusqu’ici essentiel à sa carrière de pilote, il insiste pour ajouter qu’il a aussi dû faire ses preuves en piste.
«C’est sûr que c’est important d’avoir des commanditaires en F1, parce que comme on peut le voir, il y a plein de bons pilotes qui se cassent les dents parce qu’ils n’ont pas les reins assez solides. Ça ne devrait pas être comme ça, mais ça l’est, alors c’est bien d’avoir des appuis.»
L’argent ne fait toutefois pas foi de tout, même en F1. Il ne permet pas d’acheter le talent. Et aux yeux de nombreux observateurs, Lance n’en manque pas.
Des qualités indéniables
Vince Loughran, le directeur général du circuit de Mont-Tremblant — qui est la propriété de Lawrence Stroll —, se souvient que le jeune Lance lui a fait impression très tôt.
Et Loughran, qui compte plus de 42 ans d’expérience en course automobile, a vu passer à Mont-Tremblant, au fil des ans, des pilotes bien connus qui ont atteint la F1.
«Je travaillais déjà au circuit de Mont-Tremblant à l’époque où Gilles Villeneuve était venu prendre ses cours de pilotage (en 1973). J’ai aussi vu son frère, Jacques, et son fils, Jacques, suivre des cours de pilotage ici. C’est l’une de nos fiertés. Et maintenant, c’est au tour de Lance.»
À la demande de Stroll père, Loughran lui a aménagé une piste temporaire, en bordure de la véritable, faite de cônes oranges et de petits murets de karting en pneus recyclés. Même si Stroll souhaitait d’abord et avant tout s’amuser, Loughran a dit avoir remarqué dès cette époque qu’il présentait des qualités inhabituelles pour un pilote.
«Nous avons vu à cet âge-là qu’il adorait la course automobile. Vous savez, dans une de ses biographies récemment publiées, on a demandé à Wayne Gretzky de commenter l’importance de s’entraîner pour connaître du succès, a confié Loughran. À cela, il avait répondu : ‘Pourquoi me parlez-vous d’entraînement? J’adore le hockey!’ Donc c’est un peu la même chose pour Lance, c’était simplement le ‘fun’ pour lui.»
Progression rapide
Puis, la carrière de Stroll a été prise en charge par Hugo Mousseau, un passionné de sport automobile originaire de Beloeil qui l’a rencontré en 2008 alors qu’il était instructeur de course chez SH Karting à Mont-Saint-Hilaire.
«Son père, Lawrence, m’avait approché pour le superviser, puis de là, Lance et moi, nous avons connecté, se souvient Mousseau. Il était timide lorsqu’il était jeune; il ne discutait pas de tout ce qui se passait dans sa tête. Mais il a changé, et a commencé à communiquer davantage lorsque je l’ai pris en charge. Il a appris à ne pas blâmer quelqu’un d’autre pour ses revers, et c’est ce qui lui a permis de progresser aussi rapidement.
«Il a compris très tôt qu’il devait travailler tant d’heures par jour pour atteindre tels résultats. C’est un peu comme Carey Price, il ne peut se fier uniquement sur son talent. Il doit travailler sans arrêt pour s’améliorer. Il est également très intelligent, c’est-à-dire qu’il comprend ce qu’il doit faire et sait partager l’information avec les bonnes personnes — comme son ingénieur de course, par exemple.»
Passage dans le giron Ferrari
Entre-temps, vers l’âge de 12 ans, alors que sa passion pour le sport automobile se développait, Stroll s’est inscrit à l’école de pilotage Jim Russell. Le pilote de course Jean-François Dumoulin, également instructeur de pilotage, se souvient très bien de sa première rencontre avec lui, et surtout des petits blocs de bois qu’il a dû ajouter aux pédales pour qu’il puisse conduire.
«Un jour, Lance est arrivé dans un groupe de huit jeunes pour apprendre à piloter des voitures de type Formule — celles qui viennent après les karts —, et dès le départ j’ai été agréablement surpris de constater qu’il était déjà assez mature pour son âge, mentionne Dumoulin. Il côtoyait des jeunes de 14, 15 et même 16 ans, et malgré cela il a été l’un des plus réceptifs dans le groupe au moment de lui offrir des conseils.
«Déjà, il écoutait beaucoup et posait de bonnes questions. De plus, pendant l’école de trois jours, il a systématiquement terminé dans le top-3, ce qui était impressionnant compte tenu de son âge. Ensuite, je l’ai revu quelques fois, à chaque été.»
Le reste appartient à l’histoire. Après s’être installé à Genève avec sa famille et s’être joint à l’Académie Ferrari en 2010, Stroll a multiplié les courses de karting aux quatre coins de l’Europe.
Il a ensuite gradué en monoplace en 2014 et participé au championnat de F4 en Italie au sein de l’écurie italienne Prema PowerTeam, avant d’obtenir un volant en F3, où il s’est rapidement acquis la réputation de pilote agressif et rapide.
Le directeur de l’équipe, René Roisin, n’avait pas manqué de souligner sa progression rapide à l’issue de sa première saison.
«Débutant dans une compétition aussi exigeante, il a ébloui les autres recrues de sa classe et s’est également battu face à des rivaux bien plus expérimentés, prouvant qu’il est prêt pour l’étape suivante, avait avancé Roisin au site Internet motorsport.com. Je suis sûr qu’il a tout ce qu’il faut pour obtenir des résultats plus brillants et se battre pour la couronne de F3 la saison prochaine.»
Sa prédiction s’est avérée. Stroll est devenu en octobre dernier le premier champion nord-américain de F3 européenne, et de surcroît le plus jeune de l’histoire à accomplir l’exploit.
Un vétéran coéquipier
Et en novembre dernier, quelques jours après avoir célébré ses 18 ans, Stroll a été confirmé comme l’un des deux pilotes de l’écurie Williams en vue de la saison à venir.
Déjà familier avec l’environnement de l’écurie britannique puisqu’il avait intégré le programme de développement de l’équipe dès 2015, Stroll retrouve un visage familier chez Williams: le Brésilien Felipe Massa.
Massa, qui a reporté son projet de retraite après le transfert du Finlandais Valtteri Bottas chez Mercedes à la mi-janvier, connaît Stroll et son père Lawrence depuis longtemps déjà.
«C’est étrange, parce que la première fois que je l’ai rencontré (Lance), il était âgé de huit ans, a rappelé Massa. De plus, ça fait longtemps que je connais son père (Lawrence) — ça remonte à l’époque où je pilotais pour Ferrari et que Lance était à l’Académie.»
Questionné à savoir s’il allait servir de mentor à Stroll, le Brésilien de 35 ans a grimacé et remis les pendules à l’heure.
«Nous sommes coéquipiers, mais c’est certain que je veux être devant lui, a-t-il évoqué. Ceci étant dit, ça ne m’empêchera pas de lui transmettre de l’information, surtout si ça peut lui permettre de progresser. Je vais essayer de l’aider du mieux que je le peux, parce que c’est dans ma nature. Je sais qu’il a du talent et qu’il peut apporter beaucoup à l’équipe. Donc c’est bon pour l’équipe et c’est bon pour le championnat.»
Stroll a lui-même tenu à dire qu’il ne fallait pas étiqueter Massa comme étant «le grand frère» qui lui permettra de s’acclimater à la F1.
«Ce n’est pas un mentor, a-t-il confié. Je sais que j’ai déjà dit ça dans une entrevue, mais peut-être que les gens ne m’ont pas compris. Il n’est pas ici pour me ‘chaperonner’.
«Ceci étant dit, il a de l’expérience et c’est un pilote que je peux regarder et écouter lors des ‘briefings’ afin d’apprendre de nouvelles choses. De plus, ce que je trouve bien, c’est qu’il sait que nous travaillons pour l’équipe, et que ce ne doit pas être une guerre entre nous. Mais la compétition entre nous est positive pour l’équipe, car elle nous permettra de nous surpasser. Donc c’est super d’avoir Felipe au sein de l’équipe. Il est rapide, il est content d’être ici et il est motivé.
«Mais tout de même, je ne peux compter sur lui. Je dois faire mon travail et rouler le plus rapidement possible. Donc, j’ai hâte que ça commence, parce que j’ai assez parlé, et maintenant il est temps de rouler.»
Alexandre Geoffrion-McInnis, La Presse canadienne
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