Les mémoires vivantes, l’histoire qui se raconte
La famille Elliott : quatre générations de pisciculteurs
Pierre Trudel, Société d’histoire de la Repousse
L’arrière-grand-père Joseph, né en Écosse, immigre plus tard des États-Unis (Lowell Mass) à Saint Alexis-des-Monts. Il est considéré comme un des pionniers de la pisciculture au Canada, selon le Journal La Presse du 10 mai 1941. Selon le Petit Journal du 8 octobre 1958, la plus grande pisciculture privée de tout le Canada appartient à la famille Elliott de Saint-Alexis-des-Monts sous la direction de Willie Elliot.
Le grand-père Willie Elliott est nommé chef pisciculteur de la nouvelle station provinciale de Saint-Faustin sous le gouvernement libéral de Louis-Alexandre Taschereau, dans les années 1930. Le grand-père Willie demeure en fonction sous le gouvernement de l’Union Nationale de Maurice Duplessis (1936-1939), puis sous le gouvernement libéral d’Adélard Godbout (1939-1944). En ces temps, il arrivait que tout le personnel fût remplacé lors de l’élection d’un nouveau gouvernement comme nous le verrons plus tard.
Ses fils Fernand (de 1941 à 1952), et Lucien (1950 à 1977) travailleront aussi à la pisciculture provinciale. Lucien deviendra par la suite surintendant/chef de station piscicole. Notre mémoire vivante, Serge Elliott, né en 1957, y travaille durant les étés à l’adolescence. Il y vendait des crevettes séchées pour que les visiteurs puissent agacer les truites pour les voir sauter.
Origine et évolution des piscicultures
On calcule qu’il y a un million de lacs au Québec : 15% du territoire de la province est constitué d’eau alors que ce n’est que 7% pour le reste du Canada. Avant 1875, on élève le saumon de l’Atlantique à Ristigouche et Miramichi. En 1900, l’inspecteur général des pêcheries, le professeur E.E. Prince, détermine que l’on doit se préoccuper autant de la propagation des poissons que de leur préservation. L’objectif est de rendre les eaux aussi productives que la terre.
En 1933, la découverte fortuite d’un petit ruisseau, qui déverse 3000 gallons par minute d’une eau assez froide pour l’élevage de truites, marque le début d’une aventure, voire d’une révolution qui allait bouleverser la destinée de la municipalité du canton de Wolfe. En 1935, l’honorable Alexandre Taschereau, premier ministre du Québec, approuve la décision de faire construire la Station piscicole des Laurentides à Saint-Faustin. 25 000$ sont attribués pour sa construction. En 1938, la pisciculture approvisionne 8000 lacs, de l’Ontario jusqu’au Saguenay. La même année, 500 lacs sont ensemencés par les airs, dont 280 par la Cie Wheeler de Saint-Jovite. Des années 1930 à 1950, on n’hésite pas à parler d’un chef de file du domaine de la pisciculture, dont la notoriété s’étendait bien au-delà des frontières du Québec. N.B. Les archives de la pisciculture sont conservées par La Société d’histoire de la Repousse.
Autres temps autres mœurs
À la pisciculture en 1939, un journalier fournissant ses chevaux était payé 0.50$ l’heure. Au même moment durant la Seconde Guerre mondiale, un fermier de la région de Farnham devait verser 2.50$ l’heure pour obtenir les services d’un prisonnier de guerre allemand du camp voisin. Le prisonnier conservait 0.50$ et le gouvernement prélevait 2.00$.
En 1941, le député du comté de Lévis recommande à son collègue, le ministre des terres et forets, d’engager le beau-fils de M. Arthur Sauvé imprimeur « qui est toujours prêt à aider le parti libéral ». Dans une lettre envoyée au sous-ministre des mines et des pêcheries, les avocats de la firme David Haye Perrier mentionnent : « Monsieur Grenier (travaillant à la station) ne doit pas rester en place, pas plus d’ailleurs que ses assistants. Monsieur Grenier était l’organisateur de Blanchard lors des dernières élections! »
Ultérieurement le ministre des Pêches P.E. Coté (gouvernement libéral remplaçant le gouvernement d’Union-Nationale) mentionne que le comité libéral de Saint-Faustin, composé de 9 membres « exige le renvoi immédiat de Monsieur Willie Elliott et qu’ils vont endurer la présence de Lucien et Fernand Elliott pour la distribution des poissons. » Monsieur Willie Elliott deviendra gardien de nuit!
Les piscicultures Elliott
En 1952, Fernand, le père de notre mémoire vivante, ouvre une pisciculture privée à Saint-Faustin. Cette pisciculture privée était alimentée par des ruisseaux qui fournissaient 400 gallons à la minute. Puis Fernand développe une deuxième pisciculture à Lac-Carré près du lac Banane que l’on a appelé le lac Elliott par la suite. Les bassins y étaient alimentés par des puits artésiens à raison de 245 gallons à la minute. « À l’époque, quand je traversais les champs pour me rendre d’une pisciculture à l’autre il fallait que je fasse attention aux vaches de mon oncle Gérard. Il y avait aussi un taureau attaché avec une chaîne; moi je passais sous la clôture. »
À Saint-Faustin, à cause de l’eau plus froide on y élevait l’omble de fontaine (mouchetée), puis de l’omble moulac qui était produit en extrayant les œufs de la mouchetée et la laitance provenant des mâles de la truite grise (touladi).
« À Lac-Carré, ça prenait des pompes pour alimenter les bassins qui n’étaient pas approvisionnés par des ruisseaux. Lorsqu’il y avait une panne d’électricité, une alarme nous avisait et mon père (Fernand) et moi devions nous y rendre pour nous assurer que chacune des dix pompes fonctionnait convenablement. Il fallait y rester toute la nuit pour remplir la génératrice au besoin. Lorsqu’il faisait froid, on étendait nos matelas sur la génératrice pour nous garder au chaud », nous raconte notre mémoire vivante Serge.
Une production importante : Il y avait 30 bassins au total, le numéro quatre pouvait contenir 35 000 alevins, le cinq 20 000 et le six 1 5000 truites. Le nourrissage se faisait quatre fois par jour au printemps, trois fois par jour à l’automne et avant l’installation d’aérateurs ils devaient briser la glace pour les nourrir une fois par jour l’hiver.
La livraison des poissons
Lors des livraisons, le fretin ou les alevins devaient être conservés dans une eau froide. Il fallait changer l’eau toutes les 25 minutes dans les bidons portés à dos d’homme dans lequel il pouvait y avoir 3000 alevins ou 500 fretins. « À chaque fois que mon père traversait un ruisseau, on changeait l’eau. Le bidon lui-même pouvait peser 20 livres et il y avait plus de 10 gallons d’eau. On utilisait de l’oxygène comme on en trouve dans les hôpitaux pour assurer la survie des truites livrées aux clubs de pêche puis aux Zecs » (zones d’exploitation contrôlée).
La pisciculture de Fernand Elliott fut transférée à son fils Gilles qui y travailla avec son propre fils Serge, notre mémoire vivante. La pisciculture sera vendue en 2005. Pendant près de 75 ans, quatre générations et plus de dix membres de la famille Elliott ont pratiqué avec amour et passion le métier d’éleveurs de truites dans la région des Laurentides, à Saint-Alexis-des- Monts et surtout à Saint-Faustin- Lac-Carré.
Vous aimeriez peut-être...
Voir plus de : Chronique
Sur le vif avec Jean-Marie Savard
Félicitations à Marie-Michèle Lajoie qui a remporté le 1er prix du concours de photo organisé par l’Association de protection du …
Maisons de pension et villégiature
Au tournant du vingtième siècle, les habitants de la région triment dur sur leur terre de roches. La survie est …
Goliath l’emporte, place à la Coupe des Monts!
Par Jason Proulx,coach Match juvénile (10-27) La commande était lourde. Les Voyageurs doivent se frotter à la grande puissance de la ligue, …